Il est fréquent qu’un tiers succède à une partie initiale à un contrat.
Se pose alors la question de savoir à quel titre intervient le tiers. Poursuit-il la relation initialement nouée en venant aux droits et obligations de la partie originelle à laquelle il succède ou noue-t-il une nouvelle relation contractuelle avec la partie demeurant ?
Cette question présente un intérêt tout particulier en matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie puisque de la réponse qui y est apportée dépend la durée du préavis à accorder au nouveau cocontractant en cas de rupture ultérieure du contrat par l’une des parties.
C’est précisément des éléments de réponse à cette question qu’a apporté la Cour de Cassation aux termes de deux arrêts récents.
En cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie, la durée de la relation commerciale est un élément clef dans la détermination de la durée du préavis auquel la victime de la rupture brutale peut prétendre.
Ainsi, plus la relation commerciale aura été longue, plus la durée du préavis auquel pourra prétendre la victime de la rupture brutale sera en principe importante.
Jusqu’à tout récemment, la Cour de Cassation avait une vision extensive de la notion même de « relation commerciale établie » en cas de succession de partenaires et/ou de contrats, la Haute juridiction considérant dans ce cas que la relation commerciale initialement nouée perdurait et que les relations successives s’inscrivaient dans la continuité de celle-ci.
Une telle position était évidemment favorable au nouvel entrant qui pouvait donc bénéficier de la prise en compte de la durée de la relation précédemment nouée pour le calcul de la durée de son préavis en cas de rupture brutale de son contrat.
Toutefois, depuis quelques mois, la Cour de Cassation paraît progressivement restreindre la portée d’une telle position en réservant la reprise par le nouvel entrant de la relation précédemment nouée à quelques cas bien précis.
Aux termes d’un premier arrêt en date du 15 septembre 2015, la chambre commerciale de la Cour de Cassation a ainsi jugé que si la cession d’un fonds de commerce transférait au cessionnaire la propriété des éléments du fonds cédé, elle ne substituait pas pour autant de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que ce dernier avait entretenues avant la cession.
Dans ce premier arrêt, la Cour de Cassation a ainsi considéré que le nouvel entrant n’avait pas eu « l’intention » de poursuivre la relation précédemment nouée par les parties.
Notion quelque peu floue et délicate à manier, à notre avis, dans la mesure où la Haute juridiction fait référence ici à la seule intention du successeur et non à l’intention des parties comme cela se fait habituellement en matière contractuelle.
Mais la Cour de Cassation paraît s’être rendu compte de cette difficulté dans la mesure où elle n’a pas repris cette terminologie par la suite.
Ainsi, aux termes d’un second arrêt du 5 janvier 2016, alors que la problématique qui lui était soumise était assez proche, la Cour de cassation a abandonné la notion d’« intention » du nouvel entrant au profit de la notion de « volonté des parties ».
En l’espèce, le 1er mai 2006, la société Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (la société NMPP), devenue la société Presstalis, avait conclu un contrat avec la société Médialog, société appartenant, comme la société Michel Logistique, ancien prestataire pour cette activité de la société Presstalis, au groupe Transalliance.
Le 29 mars 2011, la société Presstalis avait résilié le contrat de la société Médialog avec prise d’effet au 30 septembre suivant.
Suite à une première procédure de référé sans succès, la société Medialog avait assigné au fond la société Presstalis en paiement de dommages intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.
Devant le Tribunal de commerce, la société Médialog avait soutenu qu’elle appartenait au groupe Transalliance, groupe ayant entretenu des relations commerciales avec la société Presstalis dès 1998 par l’intermédiaire de sa filiale Michel Logistique et que le contrat qu’elle avait signé en 2006 avec la société Presstalis ne modifiait donc en rien l’existence d’une collaboration commerciale suivie pendant près de 13 années.
En d’autres termes, bien que les sociétés Médialog et Michel logistique fussent deux entités juridiques distinctes, pour tenter d’augmenter la durée de la relation commerciale avec la société Presstalis et donc, in fine, de son préavis, la société Médialog s’était référée à une entité économique unique constituée par le groupe Transalliance.
Par jugement du 1er juillet 2013, le Tribunal de commerce de Paris avait débouté la société Médialog de l’intégralité de ses demandes.
La société Médialog avait alors interjeté appel de ce jugement.
Devant la Cour d’appel la société Médialog avait repris les arguments formulés en première instance.
La Cour d’appel avait alors également jugé que la société Médiablog ne rapportait pas la preuve de « la volonté de la société Presstalis » de ne nouer des relations contractuelles qu’avec les filiales du groupe Transalliance et, donc, confirmé le jugement en ce qu’il avait retenu que la relation commerciale entre les parties n’avait existé qu’à partir du 1er mai 2006 et non de mars 1998.
La société Médialog s’est donc pourvue en cassation.
Faisant partiellement sienne l’argumentation de la Cour d’Appel de Paris, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi de la société Medialog considérant qu’elle ne démontrait pas « la volonté des parties de faire reprendre par la société Medialog les droits et obligations de la société Michel logistique, le second contrat ne se référant ni au nom de cette dernière, ni à une reprise d’un contrat antérieur ».
Ainsi, alors que les juges du second degré avaient uniquement fait référence à « la volonté de la société Presstalis », la Cour de cassation a, quant à elle, fait référence à « la volonté des parties ».
Substitution de critère qui paraît opportune, cette notion correspondant à une notion traditionnellement utilisée en droit des contrats (contrairement à l’« intention », qui plus est du seul nouvel entrant).
En définitive, avec ces deux arrêts, la Cour de Cassation nous semble marquer un tournant important dans sa jurisprudence relative à la notion de relation commerciale établie en cas de succession de cocontractants.
Pour qu’un nouvel entrant puisse prétendre bénéficier de la relation précédemment nouée par son prédécesseur, il lui faudra donc désormais rapporter la preuve que la partie originelle demeurant et lui-même étaient expressément convenus de poursuivre la relation initialement nouée.
Cette volonté des parties s’appréciera très probablement en outre au moment où le nouvel entrant est arrivé, peu important les événements survenus postérieurement.
tags: relation commerciale établie, rupture brutale, substitution de partie